Trois bières.
--> Où l'auteur devrait arrêter la nécrophilie.
Aujourd'hui, j'ai aimé à m'en cramer le bout des doigts.
J'étais assis dans le réfectoire, attablé avec mes collègues Brune, Blonde et Rousse (combien me manque ma délicieuse, mon infiniment adorée, ma toute belle, mon adorable, ma plus que précieuse Châtain.) et profitant à la fois du soleil et de la vue. Il faut dire que le réfectoire se trouve en plein milieu d'un parc, qu'il est fait de grandes baies vitrées et que c'est tout simplement magnifique. J'en étais donc là de mes rêveries bucoliques, faisant un avec les plantes, la Terre, la Vie et l'Univers, lorsque je sentis une petite piqûre au bout des doigts.
Blonde me regardait, croyant que j'étais dans la lune. Et en un sens, oui. Mais je ne lui en voulais pas. Bien au contraire, j'éprouvais de la gratitude envers elle, une gratitude infinie. Sa curiosité mettait fin à mon impolitesse, car il est impoli de laisser seules d'aussi belles femmes lorsqu'on les accompagne. Puis c'était la gratitude d'un contact simple et serein entre deux être, sa peau contre la mienne, sa présence, son odeur, ses grands yeux noisette, son demi-sourire mi-inquiet mi-amusé, ses petites oreilles percées, son tatouage sur le côté du cou, ses frêles épaules bronzées, ses seins menus.
Je regardais autour de moi comme au sortir d'un rêve et je vis Brune, petite et chatoyante, ses yeux bleus intrigués, cette expression si énigmatique pour tous qui m'offre ses pensées comme un livre ouvert, ses cheveux relevés sur une nuque douce comme le monde, son débardeur moulant au message clair "Toute résistance est futile (si inférieure à 1 ohm)", ses boucles d'oreilles Asubakatchin, son menton décidé, son petit nez retroussé, sa respiration retenue juste l'éternité d'une demie-seconde en suspens entre deux mondes.
Je vis Rousse, ses profonds yeux verts, ses tâches de rousseur innombrables, sa peau diaphane à travers lesquelles on voit les veines, ces veines bleutées qui courent le long de sa gorge et plongent comme des cascades dans l'imposant décolleté de sa lourde poitrine, ses cheveux bouclés qui venaient chatouiller d'horriblement séduisantes oreilles, ses lèvres pincées sur une fourchette dans un geste interrompu dont la curiosité se reflétait dans le regard, comme si on l'avait surprise en train de faire une bêtise et qu'elle se demandait à quelle sauce elle serait dévorée.
Mais je voyais bien plus que cela. Je voyais chacune des anecdotes qu'elles me racontaient, qu'elles m'aient raconté. Les questions insolubles qu'elles m'avaient soumises, les câlins qu'elles m'avaient rendu, les sourires, l'affection, les blagues que l'on avait échangé, les services rendus, la confiance que j'inspirais et que je je leur confiais...
Toutes ces choses tournoyaient autour de chacune d'elle, se concentrant comme une planète en formation au coeur en fusion. Et soudain le soleil qui remplace mon coeur fût étreint par la main frigide de l'univers, la frimas insoutenable de l'espace. Elles étaient si lointaines, ces planètes. Il y avait un fossé bouleversant entre nous. Comment la chaleur qui émanais de moi pourrait-elle jamais les rejoindre à l'autre bout de la table, à deux plateaux-repas de là ? Pourrais-je seulement les toucher de mon bras, prendre leurs épaules dans mes mains ? Et plus je les regardais, avec cette soudaine panique qui m'enserrait le coeur dans un linceul funèbre, plus elles s'éloignaient de moi, plus je sentais mon coeur se racornir dans le froid mordant de cette poigne étrangère, comme si un être jaloux tentait de me voler ma chaleur car la sienne s'éteignait, là, au bout de ce bras frissonnant.
Je regardais au bout du bras frissonnant et lâchais l'allumette qui me brûlait le bout des doigts avec un sursaut.
"- Ben alors quoi, t'étais dans la lune ?"
Me demande Brune. Et l'allumette envieuse de s'accrocher à ma gorge pour m'empêcher de rétorquer.