C'est celui qui en parle le plus qui en fait le moins [I]
--> Who's gonna save my Soul now
"Celui qui sait ne parle pas, celui qui parle ne sait pas." C'était tiré d'un livre sur les grands penseurs asiatiques. Toi, tu disais que j'étais du genre calme. Euphémisme poli pour effacé, absent, transparent... Insipide. Toi, tu parlais. Tu ne savais pas. Moi je ne parlais pas. Je savais.
Comme souvent, tout commence avec mon imagination, limon argileux déposé sur les rives du Nil.
"Par manque de robots ou d'explosions, je n'ai pu m'identifier, et ce, sur un plan émotionnel ou personnel, au héros de votre film." Pourquoi s'identifie-t-il à des explosions, sur le plan personnel ? émotionnellement, le robot, je vois, mais les explosions ont elles des émotions ? Les émotions sont elles des explosions ? Ses émotions sont elles explosives ?
J'imagine alors un film américain, de deux heures, sur une explosion, nucléaire pour qu'elle soit reconnaissable, qui serait commissaire de quartier. La pluie tombe sans cesse sur la ville, et la nuit est trop souvent présente. L'explosion a le visage de Morgan Freeman, des lunettes de soleil, et vois arriver Brad Pitt, son remplaçant. L'explosion lit du Ernest Hemingway dans un grand fauteuil de cuir de la bibliothèque en écoutant un jazz des années 20.
Quand je reviens à son mail sarcastique, il ne s'est pas écoulé une seconde. Et pourtant, je viens de faire le remake de Se7en.
Je me rappelle une expérience effrayante. J'imaginais une sphère, que je nommais Quark. J'en assemblais trois pour former un proton. Puis trois autres pour un neutron. Puis encore trois pour un électron. Je façonnais un atome. Je le combinais à un autre. Je formais un produit. Je le multipliais un million de fois, et créais une chaine ADN. Je l'entourais d'un noyau, d'un cytoplasme, d'une double couche lipidique. J'avais créé une cellule en collant des sphères ensembles. Et puis j'ai vu défiler toute la cellule, comme un zoom surpuissant. Elle était coincée entre plusieurs autres, formant une couche sous une couche sous une couche, pour finir par devenir la peau qui recouvrait ma paume. Je fermais la main, et soudain le zoom repris. Ma main, mon corps, mon appartement, mon immeuble, ma rue, ma ville, ma capitale, mon département, ma région, mon pays, mon continent, ma boule de suif, mon système solaire fait de sphère que je nommais planètes. De l'infiniment petit à l'infiniment grand en moins d'une minute, j'en avais le vertige.
Lorsque je m'endors, j'ai toujours l'impression de flotter, que mon matelas est un radeau. Je sens les vagues le soulever, parfois lui lécher les côtés. Certains jours, je suis face au courant. D'autres, il me prend de flanc. Et puis, soudain, sans transition, le matelas plonge dans l'espace. Je suis en apesanteur. Et le matelas tourne, comme un cochon à la broche. mais je ne tombe pas. Comme s'il avait sa propre gravité. Je n'ouvre jamais les yeux. Je ne le dis pas, mais je sais que si je les ouvre je me retrouverais dans ma chambre. Et on est si bien, dans le vide de l'espace.
J'ai vu récemment une photo d'une souris sur un crapaud. La souris était une femelle guerrière fuyant le château de son père, qui voulait la marier au seigneur de guerre voisin. Elle avait coupé les moustache de ce fier-à-pattes d'un grand coup d'incisive avant de fuir le terrier familial. Son père voulait un souriceau, elle lui donnerait du veau. Après une journée de course affolée parmi les hautes herbes devenues étrangères, elle arriva au bord d'un étang. Le crapaud, affamé, tenta d'en faire son dîner. Mais la demoiselle ne s'en laisserait pas conter. Et la voilà qui dompte la bête, pour en faire son destrier. Lorsqu'arrivera le combat final contre le duc Serpent, je sais que le crapaud se sacrifiera pour sauver sa fougueuse cavalière avec qui il aura tissé des liens forts. Et les gens d'enlever leurs lunettes trois-débiles pour applaudir un roman d'aventure anthropomorphisant sur la métamorphose imminente des vers-luisants que nous somme tous.
Sur un tableau, les coups de pinceaux apparents sont comme un fouet dont chaque lanière avive un souvenir. J'étais dans la pièce, tu sais, quand il à mis cette touche, sous la paupière. Son débardeur trop grand, couvert de tâches indélébiles, puant l'huile et l'acrylique. Son visage plein de rides, concentré sur sa main tremblante, aux doigts crochus, tenant un pinceau à pointe fine. Le tabouret devant lui, sur lequel il pose ses deux coudes, et joints les poignets. Un néophyte dirait qu'il prie. Mais moi, je sais que c'est pour être stable. Je sais et je ne dis rien.
On parlait de Synesthésie. Voir les sons, entendre les couleurs. Je me souviens avec un sourire dans ratatouille, ou il voyait les gouts comme des couleurs. Tu te rappelle sûrement cette mélodie au piano ? C'était une cascade. Et cette sonate ? Une double hélice, un corps à corps furieux entre deux serpents amoureux.
Et cette ballade lente qu'on a dansé, une nuit au bord de l'eau, dans le petit matin. Je n'ai jamais su si l'aurore boréale était dans mes oreilles ou dans mon ciel. Au moins tu étais dans mes bras.
Cette petite mèche de cheveux, combien de fois l'ai-je fait passer
derrière ton oreille l'espace d'un battement de coeur ? Combien de fois
t'ai-je pris par la taille pour te faire vire-voleter sur le pont
Mirabeau le temps d'un battement de cils ? Et ces lèvres framboises,
n'ai-je pas passé un doigt mutin des milliers de fois; dans un souffle
que tu nommais soupir, que je savais désir ?
Ne me lance pas sur la fois ou je t'ai vue en larmes, dans la rue. Même Woody Allen n'a pas réalisé autant de films.
Ton retard de règles.