Tu disais que j'étais du genre calme. Je te répondrais que c'est un cycle. Bébé, j'étais un enfant adorable, parait-il. en grandissant, j'ai commencé à devenir un petit diable. Puis je me suis assagi. Avant de recommencer les quatre cent coups. Pour finir par me calmer. Pour repartir.
Le sang qui coule dans mes veines vient d'Islande. C'est peut être ce qui trempe mon caractère. Une fournaise tectonique constamment en mouvement lent et abrasif, brûlante et fondante, cachée sous une croute de roches froides recouvertes d'un glacier éternel. Des périodes dormantes, ou il ne se passe rien ni en surface ni en profondeur que les mouvements doux d'un paradigme apaisé. Et puis, la roche commence à bouillonner. la chaleur se fait intense, intolérable. Elle cherche à remonter vers la surface, se creuse des tunnels par lesquels la lave ressort en jets sous pression. Tout déborde.
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Le Mausolée de l'Empereur Qin. Plus que la Grande Muraille de Chine, c'est cette relique là qui m'attire. La gloire et la puissance d'un empereur, qui dans la mort amène avec lui presque dix mille soldats en armes. Comme si après avoir unifié un pays comme la Chine, il n'attendait que de conquérir le royaume des morts, ou ses ancêtres l'attendaient.
N'y a t'il pas là matière à exciter l'imagination ? A faire bouillir un sang pacifié ? Si la Grande Muraille reste impressionnante, ce n'est qu'un mur. Si l'Angleterre avait été un peu plus large, le Mur d'Hadrien aurait pu rivaliser. Mais qu'un seul homme arrive à être accompagné de dix mille immortelles poupées d'argiles après son trépas, et il y a la toute une magie que l'on ne retrouve pas dans une barricade, aussi imposante soit-elle. Le regard vide de cette foule rassemblée, le grondement de leur souffle figé, la cadence de leur coeurs synchronisés, la cataracte de leurs pas rythmés.
Se promener parmi les rangs de soldats, vérifiant leurs armures et leurs armes. Passer en revue les chars lourdement ouvragés. Affronter la colère silencieuse et austère d'un officier parmi tant d'autres. Remonter de plus en plus profond dans la tombe, s'éloigner de la lumière, s'enfermer parmi des homme dont la conquête est le métier. Arriver devant le Char de Qin.
Réveiller les anciens secrets contenus dans une urne funéraire, et mettre l'armée en branle. Réveiller ceux qui assuraient la protection du repos éternel de l'empereur qui les emmura.
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Ne pas trouver les mots. Voilà ce qui me fait hurler. Lorsque tu toques à mes volets fermés, en larmes. Pas un mot lorsque j'attrape ton bras par le coude pour t'aider à monter. Que je pose ma main sur tes hanches pour te guider vers mon lit, dans lequel tu viendras t'effondrer pour pleurer encore un peu pendant que je caresse tes cheveux.
Encore que. Tes pleurs ont le lyrisme d'une rivière. J'aime les écouter.
Ne pas trouver les mots lorsqu'on me glisse un journal dans les mains et qu'on me réclame de l'argent pour ça. C'était à Par*s-Plage, une sans-papier qui me le colle contre le torse. Par réflexe, pour éviter qu'il ne tombe par terre, je l'attrape d'une main; occupé que j'étais à inviter je ne sais plus qui. Est-ce que ça a de l'importance ? Et de sentir quelqu'un me tirer la manche. Me demander de l'argent.
Le rouge qui me monte aux oreilles, comme à tous les gens de ma complexion scandinave. La bouffée de colère, contre elle qui mendie et me rappelle les horreurs de la vie, contre elle qui force sa misère devant mes yeux, contre moi qui n'en ait rien à battre, contre moi qui ne sait pas lui dire que désolé, je n'ai pas d'argent et j'attends un ami qui doit venir mais il peut pas car vous voyez... Contre moi qui voudrait me liquéfier, me répandre en excuses et lui expliquer que oui je suis bien conscient de sa douleur, que je voudrais bien faire quelque chose pour l'aider du moment que ça ne me coutera ni temps ni argent.
Contre moi qui veut l'engueuler parce que merde à la fin, je suis bien repérable à cause de mes ancêtres; et je sais qu'ils pillaient les côtes sud mais on ne paye plus pour les crimes de ses pairs de nos jours et je n'ai aucune envie de payer pour le crime de ne pas exister, surtout à des inexistants qui ont le culot de me déranger alors que je cherche à joindre quelqu'un de moins intéressant qu'elle.
Contre ces volontaires aux grands sourires qui vous arrête "juste une minute, monsieur, promis" pour vous raconter combien le monde souffre et à besoin de mes 6 euros par mois qui ne sont pas un si grand investissement que ça, finalement, et qui aident tant de gens. "C'est vrai quoi, 6 euros c'est un repas un peu cosy avec sandwich, boisson et dessert". Alors oui, c'est pas grand chose. Oui, je pourrais. Mais non, je veux pas. Et j'en ai marre de prendre à chaque fois dix minutes (dix fois plus que ce que vous aviez promis) de VOTRE temps, que vous pourriez utiliser de façon plus efficace pour convaincre quelqu'un d'autre que moi, parce que voyez vous je suis un homme pressé et je n'ai rien à donner. Même pas de l'attention.
Contre cette éducation qui m'a fait découvrir la sphère simienne, que l'on résume sobrement par :
"Une mort, c'est une tragédie. Six millions de morts, c'est une statistique."
Ma colère de savoir que j'en suis victime et que je n'y peux rien. Finalement, on a que ce qu'on mérite.
Je t'ai haï, ma soeur humaine, parce que tu n'étais pas comme moi. Puis j'ai haï ceux qui avaient fait de toi celle que tu étais. Puis j'ai haï le monde qui les fit comme ils étaient. Puis j'ai haï Dieu d'avoir fait le monde comme il est. Puis j'ai haï la religion d'avoir fait Dieu comme il est.
Et quand j'ai fini, je me suis rendu compte que le seul haïssable, dans tout ça, c'était moi. Alors, horrifié, j'ai fermé mon coeur. J'ai fermé mes yeux, et mes oreilles.
J'ai joué la comédie, un carnet à la main, pour faire croire au sans papier qui m'agressait à l'entrée du métro que je ne pouvais ni l'entendre ni lui répondre. J'ai attendu qu'il en ai marre de perdre son temps pour aller m'asseoir, piteux, sur une place handicapé d'un bus qui passait par là. Et de me planter des coquillages dans les oreilles pour laisser la femme enceinte debout.
Et quels mots j'aurais pu trouver pour ce couple, la vingtaine, habillé de cuir noir et accompagné d'un Doberman, qui vivait sur les cartons devant le monoprix de Saint Germain ?
Pour cet vieil homme qui parlait au siège en diagonale de lui en croyant que c'était son meilleur ami pépé. "Et pourquoi que tu rigoles, pépé, hein ? c'était pas drôle, moi j'te dis, pépé".
Pour celui qui criait sur les pigeons dans la Gare du Nord, que l'apocalypse était proche et que seuls survivraient les rats.
Pour cette femme qui oubliait ce qu'on lui avait dit cinq minutes plus tôt, si bien que j'endossais pas moins de quinze identités différentes en moins d'une heure, et sans quitter mon fauteuil Louis XV. Qui dans un éclair de lucidité me souffle avec la force d'une plume : "Vous savez, je n'attends que la mort. Je n'ai plus ma tête, à quoi bon ?"
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La bile me brûle le fond de la gorge de manière quasiment constante. Mes collègues sont tous pourris et suffisants, hautains, dédaigneux et maladifs. Ils n'attendent que la première occasion pour se planter le couteau dans le dos, et font toujours bonne figure devant la hiérarchie qu'ils conspuent à la pause repas, de façon modérée car on ne sait jamais qui pourrait rapporter. Et le pire dans tout ça, c'est sûrement moi. Moi qui me suis vissé un sourire, ai jeté le tourne-vis dans la gouttière en espérant qu'un sans-abri en fasse son glaive de justice, et qui feint de les écouter, de les comprendre et de les aider. Alors que la seule chose qui m'intéresse chez cette femme qui viens de perdre son mari il y a deux jours, c'est la fille éplorée qu'il lui a laissé.
[Censuré]