Combien de chemins doit prendre un homme...
Dans un même mouvement je viens me laisser choir sur mon tabouret et heurter du bout des doigts la barre d'espace qui réveille l'écran. Je tape le mot de passe, et déjà les routines sont lancées. Quels seront mes premiers mots ? quelle phrase me servira d'accroche pour ce post, cet article ? Le titre ? le sous-titre ? Dans quelle rubrique le classer ? Et puis, quelle musique écouter, quelle sera ma transe cette fois-ci ?
Quelle sera ma première idée, ma seconde ? comment vais-je articuler cette supernova tourbillonnante d'idées échevelées ?
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Je voulais parler du pourquoi. On me dit souvent que je fais plus jeune que je ne suis. J'ai l'intime conviction que devenir adulte c'est perdre de sa capacité à s'émerveiller. Je cultive donc la mienne. Mais finalement, avec le temps, je me dis que devenir adulte c'est aussi perdre le sens du pourquoi. Ou le retrouver. Poser la question du pourquoi. Oh, je pourrais vous entretenir des heures avec des pourquoi. C'est là le point que je veux aborder ce soir. Pourquoi ?
Je lis en ce moment un livre ou l'auteur dit, en quelques sortes "je m'étonne que seuls les enfants se demandent pourquoi le soleil brille." En effet. Perdus dans notre vie citadine entre fêtes, amis, relations d'un soir, relations sans lendemains heureux qui chantent ou relations à usage unique (merci Tyler Durden) ; entre le patron, le clochard du métro qui demande qu'on lui pardonne son aspect et l'alcoolique qui fait baver son délire devant une vitre avant d'agresser le malheureux passant qui aurait l'impudence de passer devant lui ; perdus dans ce siècle de merveilles, perdido en el siglo, on en a peut être oublié de se demander pourquoi le soleil brille.
Allez-y, répondez moi. Parce qu'il y a au milieu des atomes d'hydrogène qui fusionnent ensemble pour donner de l'hélium et que cette réaction dégage lumière et chaleur ? Mais pourquoi fusionnent-ils, ces atomes ? Parce que la gravité les attire les uns contre les autres ? Dans ce cas pourquoi la gravité les y attire ?
Et si je parlais d'autre chose que le soleil ? Pourquoi le ciel est bleu ? Pourquoi les nuages sont blancs ?
Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
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Lorsque tu fais une phrase longue, en général, c'est que tu n'as pas réussi à faire court. Il faut vivre ses envies. de ses envies. Jusqu'au bout de ses envies. Il faut vivre. Et là encore, je ne suis pas d'accord sur le verbe falloir. Faut-il quelque chose ? Faut il être heureux ? Pas nécessairement, je réponds, certains préfèrent être malheureux. Faut il être bon ? Non plus, car si tout le monde était bon, on ne saurait ce qui est mal. Faut-il être mauvais ? Pas forcément. Pas tout le temps.
Mes envies débordent, mes envies sont trop nombreuses pour toutes les suivre à la fois. Et puis, l'éducation - la somme des interdits qui jalonnent la vie d'un être civilisé - m'empêche de les suivre.
J'ai envie d'embrasser cette fille. Mais a-t-elle envie que je l'embrasse ? J'ai envie de dire à celle-ci qu'elle est belle chaque fois que je la vois, mais son copain a-t-il envie d'être le seul à le faire ? J'ai envie de lécher la peau de celle-ci, caresser les cheveux de celle-là, déposer un baiser sur les paupières de cette autre...
Les films ont beau nous montrer des Apollons à qui tout réussit, j'ai récemment vu "Frankenstein Junior" et je me fais plus l'effet d'
Igor (prononcez Aïe-gore) que l'
Adam de
No Strings Attached (je n'ai regardé ce film que pour Natalie Portman, je le jure, et nie toute accusation dans l'affaire du pot de glace disparu du congélateur !).
Oh, bien sûr, dans le confort de mon imagination je suis un Dieu beau comme un nu, mais qui me dit que dans les yeux de ma conquête je ne suis pas nu comme un Dieu et beau comme un ver ?
On m'a souvent qualifié de "charmeur" et de "séducteur", mais je ne peux m'empêcher de remarquer la nuance avec "charmant" et "séduisant". Je me sens un coeur à aimer toute la terre, disait Dom Juan, et je le rejoins. Mais pourquoi alors me dit-on facile, lorsqu'au contraire je suis tout ce qu'il y a de plus difficile ? Pourquoi me dit-on inconstant quand je suis le plus assidu dans la recherche de l'esthétisme partout ou il puisse se trouver ? Qu'on m'apporte une brune, et je célèbrerais sa sombre beauté. Qu'on me procure une blonde, et je louerais l'or qui souligne ses traits. Que l'on m'envoie une châtain, et je saliverais devant son teint noisette. Que l'on me présente une rousse, et j'épouserais son feu !
Une paire d'yeux bleus, bruns, noirs, gris ; je les aime toutes.
Les lèvres mutines, pulpeuses, pleines ou pincées, mordues ou défendues ; je les convoite.
Les nuques relevées, coiffées, habillées, dévoilées, tatouées ; J'en dessine la ligne.
Et puis je me souviens de ce film dans lequel un homme éperdument amoureux des yeux d'une femme collectionnait les photos de ces yeux, qu'il perçait à la flamme d'une bougie lors d'un rituel particulier. Ou cette histoire du savant fou qui enlevait et tuait des femmes pour leur prélever les parties du corps qui ressemblaient à celles de sa défunte épouse.
Ou le clochard borgne, bossu, pustuleux, puant la vinasse et les excréments ; qui haranguait une
Office Lady de passage.
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Suis-je aussi effrayant ?