Aphone écrivait récemment que le métro avait ses
héros.
Et bien aujourd'hui, je suis devenu un de ces héros. J'étais assis comme à mon habitude sur le strapontin le plus proche de la porte quand une jeune fille prend la place à côté de moi. Je lève la tête de mon imposant livre et la dévisage un instant.
"- On se connait ?
- Euh, non, pas du tout.
- Ah."
Puis je reviens à mon livre. Elle sort un téléphone mobile
(le portable c'est l'ordinateur, bougre-dieu !) et répond.
"- Allo ? oui, ça va. Enfin tu sais. Non, j'ai pas voulu déranger en repassant par la maison. Mais maintenant je me dis que j'ai fait une connerie. Enfin en même temps il y a tellement d'affaires que je dois récupérer chez elle. Tu comprends, c'est un peu tendu avec mon frère, surtout depuis que ça va mieux avec sa copine, j'hésite, j'ai peur de m'immiscer. Et puis bon, on viens d'emménager, déménager encore c'est un peu... Oui, mais je passerais en fin de soirée, ne t'inquiète pas. Je vais bien, si, si. C'est juste que... Enfin la voir comme ça, c'est plus vraiment elle, elle n'est plus elle-même. J'ai peur de la revoir, que ça fasse mal. j'ai peur de ne pas la reconnaitre, d'être face à une étrangère. Ou pire, qu'elle ne me reconnaisse pas. Oui, allez, à bientôt, je te fais de gros bisoux.
- Si je puis me permettre, vous devriez la revoir quand même. Histoire de ne pas avoir de regrets."
Elle m'a regardé avec de grands yeux interloqués, a esquissé un début de sourire gêné, bafouillé un faible merci et s'est levée; la rame venant d'entrer dans la station. Je levais les yeux et me rendis compte que je descendais là moi aussi. Je lui ai donc ouvert la porte, et suis sorti pour me rendre compte que - comble du malheur - elle marchait à la même vitesse que moi; et dans la même direction qui plus est.
J'ai passé une minute à concentrer mes pensées sur elle, à grands coups de "Ne te retourne pas, ne me regarde pas, si tu le fais je te jure que je commencerais ma phrase par "Je descend à la prochaine, je ne vous suis pas, pas vous particulièrement." ou quelque chose du genre."
C'est quand même très particulier, ces gens qui vont à la même vitesse que vous, dans la même direction. Comme si pendant un instant, on partageait un même esprit. Une communion silencieuse entre deux êtres, sans l'effet-foule des concerts au Stade de France, ou tout le monde se dirige vers la porte F comme une armée des morts dans la tétralogie de Romero. Un instant suspendu, ou l'entente cordiale se fait sans un mot, de façon implicite. On ne se connait pas, on ne se voit pas, on ne se sent pas, mais on est quand même reliés. Une tranche de vie qu'on partage à deux, comme ce croquant au chocolat, ce soir après le métro, avec une inconnue aux lèvres miel-framboise.
"Oups" qu'elle m'a dit lorsque ses lèvres on touché les miennes.
"Je voulais rattraper la dernière miette" a-t-elle insisté.
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Et toi de dire "Au fait, Rachel te cherchait" parce que tu avais vu mon bras autour de ses hanches. De me dire que tu aimais bien le nouveau Moi, cet être franc, clair et rayonnant.
Je suis toujours le même pourtant. Ca fait partie du cycle. C'est une question d'acceptation. Comme un hamster dans sa roue. Soit on laisse les autres faire tourner la roue et on subit, soit on leur impose notre rythme. Ou l'on coopère. Je me suis demandé si ce n'était pas des avances de hamster. "J'aime comme tu imposes ton rythme, ça me permet de me laisser porter, de porter tes petits hamsters." Mais non, ce n'est sûrement pas ça. On est humains, n'est-ce pas ? Civilisés, éduqués, raisonnables. On est pas des bêtes hurlant sous la nouvelle lune
(6 novembre), n'est-ce pas ?
Je n'ai aucune envie d'être humain, d'êtres humains.
à 11:20