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Intimités dévoilées

Intimités fraiches
Lettre ouverte à la fille ambrée
--> Car je suis l'Alpha mais surtout le Beta.
Tu savais que ça arriverait. Je n'ai jamais été bon pour choisir mes mots. La diplomatie, ce n'est pas ma tasse de thé. Je n'ai jamais compris pourquoi on se chamaillait pour savoir qui du café ou du thé était le meilleur. J'ai toujours préféré le lait.

Et puis tu savais très bien que quand on me demande l'heure je décris les nuages. Parce que, pour moi, c'est lié. Je n'ai plus de montre, je regarde le ciel pour savoir quel temps il fait. Mais entre pressé et tranquille, le baromètre n'est pas fourni. Alors oui, j'ai essayé. J'ai essayé de choisir les mots. Les bons mots. Mais je m'embrouille. Les phrases longues ne sont pas pour moi, parce que lorsque j'arrive au milieu j'ai oublié de quoi parlait la fin. Et impossible de retrouver le début, qui a déguerpi sans attendre son reste. Mes mots s'échappent. M'échappent. Comme une cocotte-seconde qui sifflerait son chien.

Je me rappelle avoir entendu un écrivain dire qu'il était orfèvre. Que ses textes étaient des bijoux soigneusement taillés, délicatement ornés des plus beaux apparats, qu'il affinait et polissait chaque diamant avant de l'incruster dans la bande d'or rouge qui lui servait de support.
J'ai pensé qu'il devait se masturber devant les vitrines des horlogers, la nuit au fond des bois.
Je ne lui ai pas dit, parce que j'ai rattrapé mes mots. Je les ai ravalés. Mais voilà que je les vomis ici, comme une aigreur d'estomac enfin soulagée.
Il prétendait faire du beau, mais je n'y ai vu que du faux. Tout ses diamants, ses pierres précieuses serties dans un anneau de nacre, c'est pour moi de la manipulation. De la manipulation et de l'arrogance.

Alors oui, j'ai menti. Patrice n'a jamais existé. Son style désuet et la passion brûlante qu'il cache derrière son éducation aristocratique, c'est ma petite manipulation. Ma grande faux. Mais ses sentiments étaient vrais. Ils résonnaient de candeur, d'impétuosité et d'immédiat. Comme une éruption, ils sont sortis tout seuls. Ils se sont déversés dans une rivière.
C'est ça, mon écriture. Ce n'est pas un travail minutieux, fastidieux, de tailleur de pierres précieuses (comme les ridicules ?). C'est la catastrophe violente et incontrôlable qui explose, chaude et malléable avant de refroidir et durcir. Et si le prochain tremblement dépose une couche supplémentaire au même endroit, l'accrétion en modifiera quelques détails sans trop en altérer la forme générale.

---

La preuve, j'ai commencé à écrire cette lettre voilà trois jours, et quand je la reprends je ne saurais dire quel courant mène à quel endroit. Comme une terre vierge, je la vois nouvelle et différente.
Je voudrais t'entretenir des mensonges que j'ai couché sur le papier. Je pourrais, j'en ai pondu un cet après-midi.

Chez g*bert papeterie, au sous-sol, il y a un carnet et un présentoir à porte-plumes à côté duquel repose un flacon d'encre bleue. J'ai attrapé le numéro 28, et j'ai commencé à raconter Rebecca.
J'y ai couché ma douleur de la voir mourir, la solitude d'un appartement sordide aux papiers peints décollés par l'humidité, dans la cuisine au mobilier vert citron des années 50, avec une nappe cirée graisseuse et marquée du café froid qui me sert de cendrier lorsque je pleure son absence de toute l'encre qui noircit mes doigts froids.
J'y ai couché les longues journées hagardes à regarder passer les bus dans l'espoir d'y retrouver son visage angevin. La contemplation de la Seine et la question de savoir comment serait l'entrée dans l'eau. Définitive ?
J'y ai couché la présence d'un fantôme qui me regardait manger des légumes tièdes dans un fond de sauce froid, une fourchette tordue dans la main et la cigarette aux doigts. Le regard vide qui me transperce depuis le plafond lorsque je me couche sur le dos. Les longs cheveux noirs bouclés qui descendent vers moi comme des lianes, ou vers le sol comme une serpillière.
Le tout, en quinze lignes.

Je croyais avoir arrêté d'écrire parce que la bibliothèque avait refusé mon curriculum. Je me rends compte que si j'ai arrêté d'écrire, ce n'est pas par vengeance mesquine afin de flatter mon ego, mais parce que mes écrits sont vivants. Aussi vivants et réels que Rebecca. Lorsque j'écrivais la survie d'un aventurier perdu dans une jungle hostile, je souffrais de malaria. La traversée du désert ravinait ma gorge et asséchait ma langue. L'espace est silencieux et froid comme l'hôpital dans lequel je meurs d'un cancer de la prostate. Le terrorisme était la seule solution pour faire comprendre à nos dirigeants corrompus la profondeur de notre détresse.
Et, à dire vrai, je n'ai jamais écrit combien je t'aime, Rebecca.
Ecrit par Mr Freeze, à 21:59 dans la rubrique "Secrétaire".



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