--> Elles disent toutes ça.
On en arrive au sel de l'histoire.
L'art, c'est l'angoisse. Or je ne suis pas réellement angoissé ces temps-ci. Il fait beau, je me promène dans Paris, je prends des photos, je sirote des diabolo-fraise, je découvre des gens et des lieux... La vie va plutôt bien pour le moment. Le futur est constamment changeant, mais je ne lui en demande ni plus ni moins.
Bon, bien sûr, il y a toujours matière à inquiétude, mais ce sont des détails bassement terrestres. Et je me dis que je te reverrais bien. Que comme la dernière fois, j'essayerais de voler un baiser sur tes lèvres ensanglantées, que je tenterais de faire courir mes mains sur ta peau.
J'ai envie de faire des étincelles. J'ai envie d'être abrasif, brûlant et contagieux. J'ai envie que l'espace d'un jour nous soyons deux inconnus dans une ville anonyme, une correspondance sur le tarmac, cachés entre deux tombes comme dans
Easy Rider ou derrière les rideaux de la révolution étudiante comme dans
Innocents, peau contre peau, lèvres contre lèvres sans rien oublier du passé ni penser à l'avenir. Deux touristes sans attaches qui se croisent dans les couloirs d'une aérogare que l'on appellera Gaïa, chacun son bagage et attention de ne pas les échanger.
Mais ce serait tromper. C'est là que tous mes mots viennent peser de tout leur poids. Parce que finalement, je t'étouffe peut être de mes désirs, alors que ma seule demande était de savoir si tu vas bien.
Etonnant comme il avait raison lorsqu'il disait "toutes les mêmes". Tu as disparu de ma vie comme Elle l'a fait, par la petite porte et en toute discrétion. Comme toutes les autres, d'ailleurs. Et puis la vie faisant son chemin, j'ai oublié Son auguste visage, à Elle. J'ai oublié Ses Membres Frêles, Ses Jambes aux Cuisses un peu trop larges mais tout de même Agréables, Ses Jupes plissées, Ses Cheveux plus Châtains que Roux, ses Yeux plus Bleus (étaient-Ils Gris ?) que Verts. Et puis Son Visage à fondu comme une poupée de cire, comme un mannequin en bois.
Et celui de Miranda, avec ses tâches de rousseurs sur les épaules et le dos, sa cicatrice à la cheville que je passais des heures à lécher comme un chiot panse les blessures de sa maitresse.
Et celui de Marianne, libre, épurée jusqu'à l'os, danseuse, maladivement belle.
Et celui de...
Enfin pépin (le bref), tous ces visages, tous ces corps que j'ai apprécié (et non pas aimé, aimé d'amour, grand dieux non !) se fondent les uns dans les autres. Toutes ces images de femmes dans ma tête qui n'en forment plus qu'une.
Je me rappelle une nuit du collège, ou je rêvais que j'étais devenu un scientifique fou, avec un laboratoire souterrain et des tubes qui me permettaient de cloner et modifier des êtres humains. J'y mettais le corps d'Amandine, les yeux de Mylène, le visage de Céline, et l'étincelle de Rebecca. Le résultat était tout de même beaucoup plus harmonieux que ce que j'ai en tête actuellement.
Un torse multiple, comme si on louchait en le regardant reflété par deux miroirs de face, des bras et des jambes plus nombreux que Visnu, et un visage en bois lisse.
Je sais, ce n'est pas très flatteur pour toi.
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"S'il te faut faire une longue phrase, c'est peut être que tu n'arrives pas à faire plus court."
L'économie des mots est quelque chose de charmant. J'ai parfois l'impression d'être une usine à vapeur qui jamais ne s'arrête de brasser du vent et de la fumée. J'admire ceux qui peuvent faire passer leurs idées en peu de mots, les héros taciturnes qui se font comprendre des masses. C'est pour ça que j'aime passer de temps en temps chez
Liz ou
Castor (quoique ce dernier peut être bavard, parfois. Mais ce n'est pas un défaut).
Dans mes lectures d'enfant il y avait ce cycle, "L'Atlas des Géographes d'Orbae" qui décrivait vingt-six pays, chacun ayant la forme d'une lettre de l'alphabet. Un conte qui a une place spéciale dans mon cœur est celui du "Désert des Pierreux" (lettre P pour ceux qui ne suivent pas dans les rangs du fond !). Ce sont des hommes presque muets qui se déplacent à dos de tortues géantes dans un désert de rocs ou la pluie est faite de cailloux et ou le vent soulève des poussières de roches. Vivant sur le rythme de leurs montures, ils ont appris à faire l'économie de leurs mots et à lire les gens à même la peau. Chaque endroit visité par une tortue est gravé sur sa carapace, les moindres averses durant la traversée sont ainsi inscrites sur leur dos. Et de même peuvent ils lire sur les vêtements de leur visiteur par quel chemin ils sont passés, sans avoir à le leur demander.
J'aimerais pouvoir faire de même.
Quelque part, je me dis que plus je parle maintenant, moins j'en aurais besoin plus tard. Comme un rouleau de papier toilette (ou, plus glamour), comme une bobine que l'on dévide, si j'en tire le maximum maintenant, peut être qu'au bout d'un moment la source se tarira. Peut être que j'ai un quota de mots pour la vie et que je brûle les deux bouts de la proverbiale chandelle entre ma logorrhée verbale et ma diatribe scripturale. Peut-être faut-il laisser filer, filer le temps et les mots. Les laisser s'échapper comme une cocotte-minute qui siffle son indignation, quoi, comment, l'on ne m'a pas encore ouverte pour me vider de cet horrible bouillonnement qui prends mes entrailles de fer et menace de blesser quiconque me touche ?
Mais qui me dit que ma source se tarira ? Et puis, si jamais je maitrisait le discours sibyllin (le wiktionnaire possède une entrée pour "sybillin" qui est elle-même sibylline en ceci qu'elle consiste en tout et pour tout de "faute d'orthographe pour sibyllin"), qui me dit qu'au final je ne serais pas mal interprété ? C'est cette peur du quiproquo, de l'imbroglio, de la mésentente et de la mauvaise compréhension qui me fait vider mon proverbial sac encore et encore, à raconter ma vie la plus simple avec les mots les plus nombreux, pour être sûr d'être compris.
Tout ça pour te demander de tes nouvelles. Tu vas bien ? Quoi de neuf ?
à 02:46