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Intimités rangées

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Intimités dévoilées

Intimités fraiches
Jade
--> Le Champion
"- Comment étaient ses derniers moments ?
- La grande classe."

Je crache une bouffée de buée dans l'air. Le petit nuage monte de quelques fenêtres et retombe en pluie de cristaux brillants. Janis tire une taffe sur sa cigarette, avale une goulée d'air d'un coup sec et soupire.
Ca fait un peu lance-flammes quand elle fait ça, mais des flammes transparentes, blanches, douces et odorantes. Elle tend un bras vers moi, la clope entre deux doigts. Comme ça, sans un mot, en regardant droit devant.
Je prends la clope de ses mains, la cale entre mon pouce et mon majeur, et tapote dessus avec mon index. Des petits cristaux gris tombent sur ma chaussure noire. Je regarde Janis. Je regarde le bâtiment en face de nous, que l'on voit à travers les branches dénudés des arbres de la grande cour. Je regarde les marches sur lesquelles nous nous sommes assis. Je regarde Janis.
Janis ne pleure pas. Janis ne pleure jamais. Janis a les yeux rouges. Janis a les yeux gonflés. Mais Janis ne pleure jamais.
Je passe mon pouce sous l'oeil de Janis.
Janis tourne la tête vers moi.

"- Il y avait un truc."

Janis tourne la tête dans l'autre sens. Elle tend le même bras que tout à l'heure, dans la même position. Elle attend que j'y cale la clope.
Je tapote encore une fois la clope, et je la cale entre les doigts roses de Janis.

"- Quelle saloperie quand même..."

Je tourne la tête vers Janis.
Janis prend une taffe. Regarde la clope entre ses doigts comme si elle découvrait les stigmates du Christ sur ses paumes.

"- Je veux dire, ça a un gout dégueulasse en plus !"

J'acquiesce silencieusement. Je fourre mes mains dans mes poches et mon nez dans mon écharpe. Mauvaise idée. J'ai de la morve sur l'écharpe maintenant.
Janis écrase la clope par terre, de son côté.
J'y vois un signe. Elle ne veut pas du tabac entre nous. C'est un symbole. Elle sera la seule à avoir fumé. Par compassion. Par mimétisme. Par identification. Moi, je serais celui qui regarde, celui qui contient, celui qui contrôle. Elle fume pour deux mais n'inhale que sa part. Moi, ma part, je la laisse aux vents. Je la leur donne. Je la leur cède.

"- Racontes moi."

Janis ne bouge plus. On dirait une statue. Puis les yeux de Janis tremblent. Les lèvres de Janis tremblent. Elle baisse la tête d'un coup d'un seul, comme si on avait coupé les fils de sa marionnette. Puis elle relève la tête. Elle fait toujours ça, de relever la tête. Elle l'a toujours fait.
Je regarde Janis, son bonnet orange et ses cheveux châtains foncés. Sa grosse parka orange et ses bottes violettes.

"- Très franchement, je ne sais pas quoi te dire.
- Racontes moi juste.
- Ok..."

Janis prend une grande inspiration.

"- C'était sur une colline lointaine, très lointaine. L'état-major avait décide que cette colline devait nous appartenir. Il faut bien comprendre qu'il y a longtemps, cette colline était celle sur laquelle nos ancêtres vivaient. C'est de là que tout est parti. De ce sol fertile, de ce petit monticule de terreau fragile que la vie a démarré. Alors, forcément, il fallait la défendre. Et comme tous les plans d'état-major, l'ennemi fût au courant le lendemain.
Il y avait un traître dans les rangs, une unique personne qui pensait profiter de l'affaiblissement des deux camps pour contrôler la colline à lui seul et fonder un ordre nouveau sur cette base là. On avait déjà essayé de le raisonner à plusieurs reprises mais il n'a jamais voulu entendre raison. Alors, parce que sa famille ne voulait pas le comprendre et parce que les étrangers lui semblaient plus à même de l'aider, il s'est rebellé.
Le surlendemain donc, quand les troupes alliées sont arrivées sur place, la colline grouillait tellement elle était noire de monde. On a eu beau bombarder, taillader, envoyer des sapeurs et des assassins pour affaiblir les lignes ; il n'y avait aucun signe d'affaiblissement. Chaque soldat tombé était remplacé par un autre fanatique.
La guerre s'est enlisée autour de cet endroit, et c'est devenu un combat de longue haleine. On pilonnait régulièrement l'endroit si bien que la colline ne ressemblait plus vraiment à celle que tout le monde connaissait, mais il faut bien faire des sacrifices à l'esthétique en temps de guerre, ne cessait de répéter l'état-major."

Janis fait une pause. Janis baisse la tête. Lentement, doucement. Comme quelqu'un qui s'endort sur place. Qui s'endort d'un profond sommeil. Et puis Janis relève la tête. Elle est comme ça, Janis, elle relève toujours la tête. Janis souffle dans l'air, et son petit nuage monte d'un arbre ou deux avant de redescendre en fine poudre cristalline.

"- Cette situation l'agaçait vraiment, tu comprends. Non seulement il avait été trahi, mais en plus la colline n'était plus en notre possession. Et puis, la colline ne ressemblait plus à la colline, alors tu parles d'un symbole. Il a donc décidé d'y aller, seul. Une nuit, il a mis notre drapeau dans son dos, pris un flambeau et une épée, et il est parti. Pour ne plus revenir. Il est parti un soir après le coucher du soleil. Il a brûlé les tentes qu'il rencontrait, tranché les chairs molles de ses ennemis et continué tout droit, sans fléchir. Il a créé une allée dans le camp adverse qui montait jusqu'au centre de la colline. Il y avait cette souche, tu sais, cette grosse souche un peu fendillée. Et bien il y est allé, il y a planté le drapeau et il est resté là jusqu'au matin. Oh, bien sûr le camp s'était déjà réveillé entre temps et les incendies qu'il avait commencé était bientôt maitrisés. Mais il est resté debout à frapper de son épée tous ceux qui s'approchaient de lui, un par un.
Au matin, un gars de notre camp a descendu l'allée qu'il avait creusé avec un drapeau blanc. Il a dit aux hommes que c'était fini, que l'armistice était signée. Les autres avaient pris la capitale et nous avions perdu. Nous avions tous perdu."

Janis se fige. Sa gorge tremble quand elle recommence à parler.

"- Lui, il... Il est resté debout, le dos tourné vers nous. Il a regardé le soleil se lever sur un monde qu'il ne connaissait pas. Il l'a regardé droit dans les yeux. Il a souri, un peu. Et puis il a poussé un long soupir, et la buée qui sortait de sa bouche s'est élevée loin dans le ciel. Et il a fermé les yeux."

Janis ferme les yeux.
Je regarde Janis.

"- Quelle saloperie, quand même, le Cancer."
Ecrit par Mr Freeze, à 21:43 dans la rubrique "Corbeille".



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