le vendeur de sandwich et le quinqua
--> Brève de comptoir
Il m'est arrivé quelque chose récemment. Enfin, pas forcément à moi, mais plutôt à un de mes clients.
Je faisait le service de nuit dans un Subw*y restaurant rapide de type sandwich à la carte. Le service de nuit ça veut dire 18H-1H. Il était aux environs de minuit, on n'avait pas eu de client depuis des heures et je me disait que le service de nuit, c'est réellement pourri. Mais bon, la magie n'a jamais mis les petits pois dans l'assiette, comme disait l'autre.
J'en étais donc là de ma réflexion quand entre dans le restaurant un homme un peu bedonnant, entre deux âges, en costard-cravate élimé, un porte document dans une main et la porte dans l'autre. J'attends donc qu'il arrive pour passer sa commande, et remplis au fur et à mesure de sa dictée le pain qu'il avait choisi de la garniture qu'il avait choisit. A chaque étape, je relevais la tête pour obtenir son assentiment sur la quantité désirée. Et à chaque fois il me regardait moi. Comme si le contenu de son sandwich n'avait aucune importance, et qu'il ne quémandait pas du pain mais de la voix. C'est vrai qu'il avait l'air fatigué, les cernes sous ses yeux étaient visibles. Il tentait de faire passer quelque chose comme de la gaité, en babillant sur ses choix :
"- Aujourd'hui c'est fête, j'ai envie d'essayer quelque chose de nouveau. Pas vous ?
- ...
- Et pour la boisson, ça marche comment ? Vous savez, moi et la technologie...
- Vous prenez un gobelet en carton, n'importe lequel, et vous le remplissez à la machine. Il suffit de poser le gobelet sous le petit tuyau et d'appuyer sur le bouton carré qui porte la marque de la boisson que vous voulez."
Une fois la commande prête, j'encaisse, lui tends son plateau et commence à nettoyer le plan de travail dans l'illusoire attente du prochain client. Il s'éloigne dans la salle, et vas se poser sur ces tables horribles collées à la fenêtre qui donne sur la rue. Ces tables qui trépignent à un mètre cinquante, avec un tabouret plus haut qu'une girafe sous hormones comme seul compagnon. Pendant ce temps, je range les gobelets de façon à ce qu'ils forment des tour bien verticales rangées par contenance, de la plus grande taille à la plus petite; parce que, soyons franc, je n'avais rien d'autre à faire. Je commence à discuter avec mon collègue, de tout et de rien, de la paye, des horaires...
J'étais en pleine phrase quand mon collègue me fait un signe de tête et pars dans la réserve. Je me retourne et vois cet homme m'attendre. Il attendait sans un mot et sans un bruit que je finisse de discuter, nom de dieu ! Je lui demande donc ce que je peux faire pour lui.
"- Oh ce n'est rien, juste un truc dans mon sandwich qui décape, je voulais savoir ce que c'était.
- Quoi, le piment ? ça ne vous plait pas monsieur ? Vous voulez que je vous mette autre chose à la place ?
- Oh non, non, non, pas du tout, ce n'est pas la peine, merci. Non je trouve juste que c'est... puissant comme gout. Ca faisait longtemps que mes papilles n'avaient pas étés aussi agitées. Je vous remercie. Au fait, c'est quoi ce que j'ai pris, du travers de porc ? parce qu'on dirait de la pâtée pour chat.
- Vous n'aimez pas ?
- Bof, si. Enfin je l'ai acheté, je vais le manger. De toute façon j'ai les crocs. Non je demandais juste par rapport à la texture.
- Ah ça. C'est du travers de porc reconstitué, en fait. Ils enlèvent les os, mettent la viande en charpie et la conditionnent en bâtonnets, comme vous avez pu le voir.
- Ah, d'accord. Bon, la prochaine fois que je viens je prendrais autre chose, mais ne vous en faites pas pour ce soir."
Et il est reparti, tout gris, vers son plateau dans le coin de la salle, côté fenêtre, regarder les gens passer pendant qu'il mâchonnait son travers de porc reconstitué en bâtonnets. Et puis il a fini son repas, a enfourné le cookie tout chocolat qui venait avec son menu dans sa bouche, l'a avalé, et a disparu dans la nuit avec un
"- Au revoir et merci ! Bonne soirée !"
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Il y avait quelque chose chez cet homme. Cet excès de politesse, peut être. Cet effacement. Cette façon d'essayer de sourire dans chacune de ses phrases, comme pour dire "je vais bien, tout va bien. Et vous ? J'espère que vous allez bien, sinon j'en serais chagriné." Il est rentré, gris et morose. Il a tenté de discuter, et, voyant que je n'accrochait pas, est reparti, gris et morose. Vers une heure du matin. Peut être rentrait il dans je ne sais quelle chambre de bonne, s'endormir après une journée abrutissante entre métro, boulot, encore métro. Peut être, comme Desproges, ne cherchait-il que la chaleur humaine, un contact accueillant. Et que lui ai-je offert face à sa demande ? Deux bâtonnets de travers de porc reconstitué tièdes et un cookie tout chocolat. Ca m'a rappelé ce clochard que j'ai vu crever, un soir d'hiver.
Je voudrais finir sur une note optimiste, ou un généralité comme "et nous dans tout ça ?". Mais il n'y a ni optimisme, ni nous. Y a t'il un Moi ?
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LiliLou
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Jsuis toujours tout feu tout charme moi jte remonte le moral d'un éléphant (quand il a du chagrin dis toi il est enorme)
mais bon des fois je fatigue, je sature.
Ça me fait penser aux personnes qui dinent seules au restaurant, aux personnes qui vont seules au cinéma, etc.
C'est morose et gris, oui.
Touterne.
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Celsius42
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Le cinéma seul, c'est d'un triste... Plus jamais je fais ça. Plus jamais.
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Absurdus
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Le cinéma seul, c'est formidable.
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à 23:31