Taught to play the Autoharp

J'ai le nez très sensible.

Au point de suffoquer dans une parfumerie. Le rez-de-chaussée du bon marché m'est interdit, sous peine de perdre connaissance. Je ne supporte pas les parfums synthétiques.
A l'inverse, j'aime beaucoup les odeurs naturelles. Ainsi, lorsque je rencontre quelqu'un pour la première fois, il n'est pas rare que je me surprenne à les renifler plus ou moins discrètement. Lorsque je prends quelqu'un dans les bras pour un câlin, j'ai souvent le nez sur son épaule ou dans son cou. Lorsque je me livre à des activités plus intimes, j'aime frotter la peau de ma partenaire avec mon nez, pour.

Quelle surprise alors, en vidant une de mes armoire dans un carton, de trouver contre le mur un petit flacon. Un petit flacon conique, couleur pétrole irisé. Comme dans une station d'essence après une averse, dans les flaques d'essence aux reflets chatoyants. Petit flacon que je n'ai pas reconnu tout de suite. J'ai donc lu la gravure, qui disait "Ming Shu, Fleur de l'aube". Toujours aucun souvenir. Intrigué, j'ai ouvert le flacon.

C'était une mauvaise idée.
Ce parfum, c'est celui d'une de mes anciennes relations. Une relation que j'ai connu au croisement d'une rue. J'ai senti son parfum avant de lui rentrer dedans parce que je courrais sans regarder ou j'allais. Confus, je lui ai offert de monter chez moi, histoire de se remettre. Les choses se sont enchaînées, et voilà que j'étais moi-même enchainé à ce parfum. S'il m'est déjà suffisamment tolérable, il est en plus entêtant et durable. Après chacune de nos rencontres, je l'avais autour de moi jusqu'au matin suivant. Non pas qu'elle m'en ait aspergé, mais je le sentais à chaque inspiration. J'en suis très vite venu à m'enivrer de son parfum, le cherchant sur l'arête de son nez, sous son menton, derrière ses oreilles, sur ses clavicules, le long de sa colonne vertébrale, dans le creux de son coude, sur ses poignets, au creux de ses mains, sur ses chevilles... J'ai gardé une image très précise de son corps élancé, fin comme une gazelle, fragile comme un vase. De ses courbes douces comme des dunes languissantes sous le flash de mon appareil photo, aussi.

Et puis, je me souviens de cette dernière fois. Allongés tous les deux, nus comme des dieux et beaux comme des verres, sur ce lit rond qui me fait toujours penser à un amuse-gueule de concours. Après trois ans de relation et un an de vie commune.

"- J'ai rencontré quelqu'un.
- Ah.
- Il me fait vibrer comme jamais.
- ...
- J'ai l'impression d'être une harpe, avec lui."

Je me suis levé, ait enfilé un pantalon et une chemise, et je suis sorti dans la rue, marcher pieds nus et la poitrine à l'air. Emplir mes poumons de l'odeur viciée des pots d'échappements. Essayer de masquer Ming Shu.

Quand je suis revenu, elle n'était plus là. Sur la table basse du séjour, il y avait son double des clefs, et un mot. "On fait comment pour les meubles ?".