Taught to play the Autoharp

C'est une petite boite à musique. De celles qui ont des petites lamelles en métal, soulevées par les picots d'un petit cylindre entrainé par une petite manivelle, manipulée du bout des ongles.
Des ongles rouges, au bout de longs doigts blancs.
Blancs comme la mort.

Ses mains, blanches elles aussi, presque immobiles, égrènent les notes comme autant de petites étincelles voletant dans l'air hivernal, la fenêtre les empêchant de s'enfuir au dehors, où la neige recouvre tout, linceul funèbre comme la couverture sur ses jambes délicates. Elle ressemble à un papillon, ainsi, avec les oreillers debout dans son dos dépassant de chaque côté de son corps fluet. Je trouve cette image d'un érotisme fracassant.
Ses ongles ressemblent à dix tâches de sang sur un drap virginal; le sang manquant de ces deux traces pâles et purpurines que dessine sa bouche sybarite. Le sang des fleurs que j'apporte. Celui qui n'est pas sur mon complet blanc.

La dernière note éclate comme une bulle de savon. J'avance dans la chambre, et je vois un soupir se former dans son torse; remonter le long de sa gorge, sortir avec langueur d'entre ses lèvres closes, et retomber comme un brouillard dévalant les flancs d'un volcan.

"- Je suis fatiguée."

Je pose mon bouquet de carmine sur le lit voisin et m'assoit au bord du sien. Elle renverse laborieusement sa tête vers l'arrière, comme pour essayer de voir le ciel à travers le plafond d'un blanc aseptisé. Ses yeux aveline m'ont toujours donné faim, je ne sais pas pourquoi. Peut être à cause de la ressemblance avec le fruit.

"- Les docteurs disent que je ne retrouverais jamais l'usage de mes jambes."

Je passe la main dans ses cheveux rouille, le regard dans le vide. Elle lève doucement un bras et prends ma main dans la sienne, qu'elle porte à sa joue. Ses yeux se ferment, et j'ai un instant l'impression qu'elle s'est endormie. Les commissures de ses lèvres se soulèvent, un faible sourire illumine son visage.

"- Il y a longtemps que tu ne m'as pas touchée comme ça.
- J'aurais dû t'envoyer mon chauffeur.
- Ne commence pas."

Une infirmière en uniforme blanc - blanc comme la mort - arrive dans la chambre.

"- Monsieur, les visites sont interdites. Je vais devoir vous demander de sortir. Comment êtes vous entré ?
- Je reviens, Astragale.
- Je t'attends, Nacarat.
- Monsieur ?"

Je me lève, reprend mon bouquet et sors sans un regard en arrière. J'entends l'infirmière grommeler derrière moi.

"- De si belles fleurs, il aurait pu les laisser, le mufle."

Astragale doit sûrement sourire.