Intimités forcées
--> Le métro a ceci de joli qu'on y voit le jour comme en pleine nuit
Bon, je l'avoue, j'ai triché sur les dates. J'ai une excuse.
Non pas que je cherche votre pardon,
finalement, ni une justification.
Mais il me faut une introduction,
et nous nous en contenterons.
Hop, en plus je rime. Bref.
J'ai pris du retard dans mes publications, pour la simple et bonne raison que je passais mon temps à vivre plutôt qu'a raconter ma vie. Maintenant que le tourbillon s'est un peu calmé, je reviens à mon bureau plein de miroirs vous raconter un petit fragment de vie.
RER A, comme je te hais.
Non pas que tu m'ai porté préjudice (j'ai fait de très jolies rencontres grâce à toi) ou que je ne puisse souffrir ton existence. Non, ce sont ces gens qui t'utilisent qui hérisse les rares poils que j'ai au point de me faire ressembler à un porc-épic squameux sous tri-chimiothérapie.
De par ta localisation, tu traverses notre capitale, ville des lumières amoureuses, de haut en bas et de gauche à droite à là fois, en même temps que tu la traverses de droite à gauche et de bas en haut. La populace ayant observé cet étrange état de fait, il s'est trouvé un monde fou pour se dire qu'avec le RER A, on pouvait aller partout; et d'aussitôt se ruer dans tes wagons immenses, froids et puants. Comme l'arrière boutique de mon boucher. Or il se trouve que ma haine prend racine dans cette situation, et fleurit dans l'anecdote que j'ai vécu il y a quelques jours.
Oh, RER A, comme je te hais.
Je vaquais à mes occupations, à un bout de la capitale que je n'ai jamais visité, quand sonna l'heure de rentrer. Enfin, plus ou moins. Il n'y eut aucune sonnerie, aucune alarme. Juste un vague brouhaha et le tremblement de la force, comme si un millier de personnes criaient leur agonie. J'ai descendu deux ou trois volées de marches pour arriver dans un de ces grands halls souterrains que l'on ne voit que rarement si l'on est claustrophobe. Curieux spectacle que celui de milliers de têtes les unes contre les autres, ondulant tranquillement vers ces grandes plaques de verre chuintantes qui me font penser à chaque fois à une guillotine renversée. J'ai donc du faire la queue pendant une heure (chronométrée, mesdames et messieurs, mais oui, je vous assure) au milieu d'une foule aussi étrangère que compacte.
Sentant dès le début que j'allais y passer un moment, je tentais le contact avec une jeune fille au regard avenant.
"- Tous ces gens veulent vraiment acheter un ticket ?
- Oui.
- Je suis pas rentrée pour 19H, moi...
- Ahah, non."
Et la voilà qui fraude par la porte pour handicapés. En y repensant, j'aurais dû faire pareil, j'aurais gagné facilement 2H et un dîner.
Mon second fut plus discret et complètement unilatéral. Je m'ennuyais ferme, à coller la personne devant moi pour éviter que mon voisin ne se glisse entre nous deux et ne me force ainsi à dépenser d'autres précieuses minutes. Dite personne (encore une fille, visage avenant mais yeux furibonds) s'est retournée vers moi, m'a fusillé du regard et est partie vers l'autre queue lorsque j'ai laissé tomber un soupir aussi lourd que l'animal de compagnie de ma grand-mère (directrice de zoo. Elle adore les pachydermes). En regardant son petit dos furieux s'éloigner, j'ai compris pourquoi j'avais attiré son ire. Le col de son tailleur dégageait sa nuque, mon soupir s'étant donc glissé jusque dans son dos. Ca m'apprendra à vouloir gagner quelques minutes.
Le dernier contact dont je compte m'entretenir est celui qui m'a le plus ennuyé. J'étais monté dans le wagon en dernière, et me retrouvais donc collée à la porte. Histoire de faire un peu d'humour, j'y collais la joue et les bras, comme une sardine écrasée. Les passagers qui comptaient monter n'ont pas du comprendre mon allusion au manque de place, puisque ce sont 5 personnes de plus qui se sont engouffrées dans le wagon déja bondé. Et c'est la que je me suis retrouvée entre un grand pakistanais aussi sec et rigide qu'un cèdre libanais sous l'été du moyen-orient; et une asiatique aussi sèche et rigide qu'un bonzaï sous l'été nippon.
Heureusement pour moi, j'ai un sens inné de l'équilibre, et malgré les accélérations/décélérations frénétique de notre chauffeur, j'ai réussi à maintenir entre eux et moi trois bons centimètres d'air confiné. Le tout pendant une bonne douzaine de stations.
Ces trois contacts (enfin, plutôt les deux derniers), sont étrangement intimes. Je ne souffle pas (rarement) dans le dos des inconnues, mais j'adore le faire aux proches (très proches, trop proches).
J'aime à garder une bonne distance entre n'importe qui et mon corps physique situé en un point précis de l'espace et du temps. Par bonne j'entends conséquente, mesurable avec un ou plusieurs décimètres, et jamais en dessous d'un minima expliqué par les loi du paradoxe spatio-temporel selon lequel deux objets ne peuvent occuper le même espace au même moment (Paradoxe invalidé par la rencontre d'un homme avec une femme, dans certains instants que la morale réprouve en dehors des liens sacrés du mariage, amen).
Distance qui diminue finalement avec la proximité relationnelle de la personne vis-à-vis de moi selon la formule d'England-Taylor qui dit que le carré de la racine du mouvement est au logarithme de l'exponentielle du contact ce que la division du temps passé par le nombre de films vu est à la multiplication des sourires par le sinus des fous rires puissance la tangente des regards fuyants.
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Il est cependant ressorti de tout cela quelque chose de positif (pas mon bilan sanguin j'espère, Dieu me tripote). Pendant que je tentais frénétiquement de maintenir mon équilibre pour ne tomber ni dans les bras d'un mâle aussi aride que le désert qui le vit naitre ni dans ceux d'une geisha aussi joyeuse qu'un jour de pluie comme ceux que vit Kathrina à la Nouvelle-Orléans (Ville de rêve, how I miss thee); j'écoutais d'une oreille abstraite les divaguations d'un groupe d'amis. Il parlait d'aller à La Rochelle en bus. J'ignorais qu'un trajet Capitale - Destination existât en bus. Première surprise.
Seconde surprise, il parlait de toutes les drogues (cachets, alcool, poppers, timbres magiques, que-sais-je-encore-je-n'écoutais-pas-vraiment-puisque-je-vous-dis-que-je-faisait-l'équilibriste). Parce que j'ai entendu leur conversation, n'ai-je pas été plus proche d'eux que jamais auparavant ?
RER A comme je te hais.