Minuit, Paris s'éveille.
--> Dans le bus.
Après être sorti du cinéma, nous sommes allés rue mouffetard, prendre un petit quelque chose avant de rentrer. Tous les bars étaient pleins à craquer; ça m'a rappelé Barcelone qui vit même la nuit, surtout la nuit.
Défaits, et voyant le temps filer, nous avons du retourner au terminal de bus. Bus dans lequel se trouvaient Katja et Zoé. Je les ai tout de suite reconnues. Zoé, petite blonde menue aux pommettes hautes, et Katja, grande brune mystérieuse aux lunettes immenses, à qui j'ai emprunté "les métamorphoses" d'Ovide et que je n'ai jamais rendu; espérant secrètement qu'elle en viendrait à s'intéresser à moi.
Je me rappelle de cela car je n'avais pas vu ces deux-moiselles depuis plus d'années que je n'ose en compter. Alors, bien qu'elles n'aient pas changé d'un poil et que, de mon côté, j'ai plus changé que la Pangée, je n'ai rien fait.
Zoé était la fille que tout le monde trouvait horrible en primaire mais dont tout le monde était tombé amoureux au collège. Je n'y faisait pas exception, mais j'avais toujours caché ce penchant, parce que je suis un rebelle.
Katja, c'était le sombre mystère de mes années lycée. J'essayais désespérément de trouver un point commun afin de faire la conversation, puisque j'étais un littéraire et elle, une économique. Après la comparaison de nos programmes de philosophie respectifs et quelques idées échangées, j'avais bien compris que je n'arriverais à rien avec cette fille si je ne m'incrustais pas dans sa vie. Si je ne jouais pas le grain de sable. Finalement, bien poli, j'ai glissé sur ses rouages et suis allé retrouver tous les autres garçons polis, au fond de la rivière de prétendants qu'elle avait.
Je pourrais invoquer l'excuse que je raccompagnais une amie chez elle et que donc, je n'avais pas de temps à consacrer à des filles avec qui je n'ai pas eu de contact depuis Dieu-seul-sait-quand. Mais le fait est que je n'avais que faire de mon amie, ou plutôt de sa diatribe sur ses exs, tous plus salauds les uns que les autres, qui la menait droit à "tous des salauds, sauf mon père et mon frère.". J'ai passé le voyage en bus à me demander comment aborder ces anciennes connaissances.
"- Katja, c'est bien toi ? Et Zoé ? Mon dieu mais ça fait une éternité ! C'est Marc, du collège. Et puis du lycée. Enfin, ça fait une éternité, hein. Vous vous souvenez de moi ? Qu'est ce que vous devenez, après tout ce temps ? Un petit copain ? Les études, ça en est ou ?"
Exactement ce que personnellement je ne supporte pas qu'on me demande, et à quoi je répondrais :
"- Non, je ne me souviens pas. Si tu avais compté, on aurait gardé contact. Tu m'excusera l'impolitesse d'être honnête. Je deviens moi-même en plus vieux, oui je suis de la chair fraiche sur le marché de la plus offrante, et non je n'ai toujours pas fini ma thèse sur l'évolution macroscopique des organismes microscopique en mileu endothélien. Quoique ça n'ait rien à voir avec la littérature, je dis juste ça pour que tu me foutes la paix, parce qu'il est bientôt une heure du matin et que je voudrais rentrer chez moi au plus vite parce que demain je fais un truc qui m'intéresse plus que de savoir ce que toi tu deviens."
Et si je peux répondre ça, elles auraient tout aussi bien pu le faire. Elles auraient aussi pu m'ignorer, crier à l'agression ou toute autre réaction (qui sait, mes deux âmes soeurs se lamentent peut être de ne pas m'avoir abordé en ce moment même).
Alors j'ai décidé. Solennellement. Que la prochaine personne surgit de mon passé que je croiserais, et bien je l'aborderais. Parce que je ne vais pas laisser les années tisser un châle de froide indifférence entre les personnes que j'ai connu et moi. Parce que si je vous ai connu, il y a de grandes chances pour que vous ayez été important. Je crois me rappeler que j'ai dit aimer un peu tout le monde. C'est faux. Je n'aime que les gens que je connais. Et les inconnues en robe de soirée dans le métro... Et... Enfin bref. Si on s'est connu, vous m'avez été important. Et je n'aime pas perdre les choses importantes.