Mon amitié n'est pas une prostituée
--> Un doux conte de Noël qui sent bon le sapin
"- Ouais, ben tu t'es pas foulé niveau prix."
"- Ouais, ben tu t'es pas foulé niveau prix.
- Pardon ? Je ne me suis pas foulé ? Je t'offres un cadeau et tu me réponds que je ne me suis pas foulé ? Sais-tu combien de temps j'ai passé sur ce dessin ? J'y ai versé mon âme, te dis-je. J'ai passé des heures à chercher ce qui te ferait plaisir, ce qui te correspondrait, ce que tu pourrais y voir et y apprécier. J'ai passé autant de temps à réfléchir à la composition, aux différents plans et à la mise en œuvre. J'ai passé des journées à travailler, à couvrir les murs de mon atelier de versions différentes, à les comparer, à les trier, à les noter, à séparer le grain de l'ivraie. J'y ai mis mes sentiments, y ai versé ma sueur et mon sang, n'ai fait que penser à toi durant tout le procédé de fabrication. Je fais le sacrifice de mon temps, j'ai englouti plusieurs semaines dans un projet uniquement dédié à toi, et la seule chose que tu trouves à me dire, c'est que je n'y ai pas mis le prix ?
Je vais te dire, moi, quel prix j'ai mis dans ce vulgaire morceau d'affection ! Il y a le prix de la rame de papier, le prix de trois crayons à papier, cinq pinceaux, deux palettes de peinture, le prix d'un mois de connexion internet, d'une année d'électricité, de ma paire de chaussure, des dix paires de chaussettes dont j'utilise la numéro trois en ce moment, le prix du caleçon que je porte, le prix du pantalon, de la chemise et de la veste que je porte, plus le prix de mon manteau, plus un abonnement aux transports en commun, un mois de forfait téléphonique pour recevoir ton appel d'invitation, le prix de la latte de parquet sur laquelle à gouté la peinture et que je vais devoir remplacer, le prix du chauffage de l'atelier pendant deux semaines, le prix des consultations ophtalmologiques et de l'opticien, le prix de deux semaines de nourriture en conserve, le prix d'un poste lecteur de CDs et le prix d'un CD écouté en boucle. Veux-tu que je dresse la facture totale de ce pour quoi je ne me suis pas foulé ?
Lorsque j'offre un livre, j'offre du rêve. Lorsque j'offre une bande-dessinée, j'offre de l'évasion. Lorsque j'offre un bijou, j'offre une touche d'exotisme. Lorsque j'offre de la musique, j'offre de la compagnie. Lorsque j'offre quelque chose, j'offre mes pensées. J'offre l'attention, l'intérêt, l'estime et l'affection que je porte aux gens. J'offre un symbole, un pont, un lien entre deux personnes.
Et parce que je pense que ces choses ne sont pas matérielles, alors je préfère offrir mon temps que mon argent à ceux qui pour moi comptent. Est-ce être pingre que de trouver d'autres façons de prouver son appréciation que de dépenser bêtement son argent sans réfléchir un instant ? Combien de tes soi-disants "amis" ici présent t'ont offert une carte-cadeau d'un grand magasin en se disant "je ne sais pas ce qu'elle aime alors je vais la laisser choisir" ? N'est-ce pas l'insulte suprême que de voir que les gens que l'on considère comme ses amis ne nous connaissent pas assez pour nous faire l'offrande d'un instant de réflexion, une fois dans l'année au minimum ? Qu'ils considèrent cet instant comme une corvée plutôt que comme un bonheur, de devoir sacrifier une part de leur maigre pécule avec des gens qui certes les invitent à leurs anniversaires mais n'offrent rien en retour ? Car oui, il faut le dire, ton amitié ces derniers temps s'est faite rare et avare.
- ...
- Tiens, regarde. Je sors un billet de cinq euros de ma poche, je le mets dans ta main, je te vole un dernier baiser - sur les lèvres cette fois-ci car ce sera le dernier - pour ce prix et je m'en vais. Mon amitié n'est pas une prostituée."
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Encore une fois, cette tirade me semblait plus véhémente, héroïque et surtout beaucoup plus longue quand elle n'était que dans ma tête.
Bref, je me sens très coupable d'offrir un bouquin que j'apprécie à une amie que j'ai perdu de vue depuis peu.