Kafka
--> La métamorphose
Pourquoi écrire ?
Ecrire me permet de souffler la mousse d'une grande blonde, de m'ôter un
poids de sur la conscience, de faire sortir ce qui bouillonne en moi.
C'est de plonger les pâtes dans l'eau, l'huile et le sel. C'est une
façon d'appliquer le fer rouge qu'est mon épée dans un bain frais et de
regarder la fumée s'envoler. C'est tirer une taffe sur la ciggie de mon
voisin, inspirer un grand coup et faire descendre la pression dans les
poumons. C'est se libérer d'un fardeau, dégager les épaules et relever
la tête. C'est prendre un grand bol d'air et cracher tout le fiel
accumulé, la rage, la colère, la frustration, la peur, la douleur dans
une seule et même tâche sur le carrelage, comme quand un glaire véreux
et purulent viens s'écraser lourdement dans l'évier et s'y colle avec
l'énergie du désespoir pour ne pas être emmené au loin par l'eau
courante. Et puis il faut le toucher du doigt pour le faire partir,
berk. C'est peut être pour ça que je ne me relis que rarement. C'est
crade. C'est écraser le poids des responsabilités sous mes doigts
fébriles. C'est condenser toutes mes angoisses dans un clavier le
marteler de coups répétés jusqu'à ce qu'il rende l'âme et crie grâce, de
ses petits grincements de clavier que seul un clavier sait faire.
Frapper un objet inanimé plutôt que mon voisin humain, quel enfoiré, qui
vit avec la femme que j'aime. Les émotions, comme le vomi, c'est
toujours mieux dehors que dedans. C'est à dire que pas vraiment,
finalement. On en revient toujours à la décence et la pudibonderie. Un
homme ne doit pas montrer ses larmes, un homme doit montrer à la femme
que c'est lui qui est mérité et pas elle qui est méritable, sans oublier
qu'un homme se doit de traiter toute femme comme une princesse. "La
rudesse du faible n'est qu'une imitation de la grandeur du fort."
Finalement le problème viens des standards. "Le bien, le mal, c'est
juste une question de point de vue.". La question n'as pas changé, la
réponse est toujours quarante deux. Mais alors de quelle façon un homme
doit-il vivre ? "être Mâle c'est une question de naissance, être homme
une question d'âge, être un gentilhomme c'est une question de volonté.".
Qu'est ce qui est bien, qu'est ce qui est mal ? Quels sont mes
standards, et par là même quelle est mon identité ? Suis-je un preux
chevalier qui jamais n'a dévié de son code de l'honneur ? J'aimerais
bien, mais non. Je me dis que, dès que l'humain aura compris qu'il faut
arrêter d'adapter la nature à nos besoins pour adapter nos besoins à la
nature, on aura peut être fait un pas dans une direction quelconque. En
cela je suis un partisan de l'Harmonie en tant que tropisme. J'ai envie
de croire ceux qui disent que chacun est maître de son Destin, qu'on
écrit à la pointe de la plume ce que notre vie future sera. Mais faisons
face à la réalité un instant, et observons que nous faisons partie
d'une société. Quel comportement adapter pour survivre à la (bonne ?)
société parisienne ? Faut il envoyer valser les opinions négatives de
ses concitoyens et définir soi-même - dans le cadre restrictif d'une
légalité de plus en plus présente - ce qui est bon ou pas pour son
bonheur ? Ou faut-il accorder aux opinions des autres la même - ou une
plus grande - importance que celle que l'on se porte à soi ? "L'estime
de soi se construit à travers l'estime de son prochain" Est-ce à dire
que je ne vous estime pas, voisin de mon cœur ? Faut-il en croire le
bruit qui coure que si je n'ai pas confiance en vous, aimables clochards
de la place d'italie, c'est parce que je n'ai pas confiance en moi ?
Faut-il en conclure que si j'ai peur de me retrouver aux urgences de
Tenon un couteau dans le dos c'est parce que j'ai peur de faire cela
moi-même ? Moi qui suis conscient d'avoir déjà maintes fois dévoyé de ma
route initiale, ai-je perdu l'espoir en ce mot magique - Rédemption
- qui laisse à penser qu'on à le Droit de faire des écarts ? Non
seulement le droit mais la possibilité - tout sera pardonné - de revenir
au Droit chemin lorsque l'on s'est fourvoyé une fois de trop ? Y-a-t-il
dans les comportements humains un Trou Noir et son horizon ? Peut-on
réellement s'échapper de cet horizon, revenir sur le point de non-retour
et passer de l'autre côté de la barrière ? Cette dualité horrible de ce
qui est vivant ou de ce qui est mort, de ce qui se fait ou ne se fait
pas, c'est la le cœur à la racine de la puissance au carré. On ne peut
revenir d'entre les morts sans l'assistance d'une religion. Peut-on
faire revenir les morts par une foi sans Dieu, par une religion que l'on
est seul à partager ? Peut-on revenir sur une bourde sociale, faire
ressusciter la situation qui meurt en se vidant de son sens ? Peut-on
non pas guérir les plaies et les blessures, mais faire remonter le temps
pour revenir à l'instant ou la blessure n'avait pas lieu ? Peut-on
regarder le monde après s'être arraché les yeux ? Œdipe ne risque-t-il
pas de recoucher avec sa mère s'il ne voit pas qui partage sa couche ?
Pourrait-il recevoir le pardon de son Père mort pour ses crimes ?
Sait-il que l'on peut se repentir ? Et si finalement la quête de Dieu n'était en fait qu'une quête d'identité, une quête de soi ? Une façon de dire "j'ai pris possession de cela, cela est à moi. Tu peux prendre le reste, mais cela reste à moi.". Par cette branche morte que je tiens dans ma main, je prends existence dans le monde, j'affirme mon identité, je suis et je serais dénommé Olivier. Et les gens de courir le monde et de proclamer : "Voyez, voyez tous, celui qui marche sur nos pas, celui là, celui là qui tiens une branche morte dans sa main vivante, oui celui là s'appelle Olivier. Il a pris possession d'un arbre, et ainsi faisant de son identité" (j'espère seulement ne pas trouver dans le botin un Mr. Michet Godemichel). Et tous de regarder et de savoir, oui de savoir que celui là qui marchait dans la poussière, une branche de laurier dans la main, que celui là s'appellerait Olivier. Et tous de courir la campagne et de ramasser ce qui tombait sous leur main pour se distinguer, se connaître (bibliquement) et se reconnaitre. Voici marcher devant vous Pierre, qui porte un gros rocher sur ses épaules. Voici Marc, trop cupide, qui vois glisser entre ses doigts l'encens et la cendre, le café et le sable. Voici Casanova, qui dans sa main porte une feuille de vigne. Et voici venir les trois frères, barbe-rouge, barbe-bleue et barbe-noire, qui portent sur leur visage le peu d'imagination qu'il leur reste. Oh, c'est une glorieuse cité que voilà, ou chacun porte un nom propre. Un nom qui n'a pas connu la terre, la boue, le sable et le grain. Un nom tout neuf comme un sou, un nom tout beau comme un Dieu. Mais que dire de ce pauvre là, ce pauvre qui avait si peu de possessions en ce monde que même un nom, même un nom il n'en possédait pas ? Celui la qui allait nu comme un ver, on le regarda comme tel, et l'hiver venu il disparu. Alors il fut oublié, mangé par ses congénères et il n'y eu plus de pauvres puisque les pauvres, les vrais, n'ont même pas de nom. Et s'ils n'ont pas de noms ils n'ont pas d'existence. Mais vint un jour qu'un homme et une femme, qui possédait un nom tous les deux, eurent un enfant, tous les deux aussi. L'horreur s'abattit sur la maisonnée lorsqu'ils se rendirent compte que l'enfant ne pouvait, ne savait pas tenir quoi que ce soit dans ses mains. Qui plus est, son babil n'était pas du verbiage, et jamais il ne pourrait choisir un nom pour lui même. Alors ils décidèrent de lui donner un nom. Et au diable l'objet, il fallait bien que le cordonnier Bouton lâche son objet pour manger les deux mains à la table. Alors, pour que l'on ait plus besoin de regarder l'objet, ils nommèrent l'enfant Olufsen, fils d'Oluf (ses descendants font de très bonne baffles, quoique très chères). Et sur son visage il porterait les yeux de sa mère, le menton de son père, les pommettes de sa mère et le front de son père. Et tous le verraient, et tous sauraient qu'il était le fils d'Oluf, le tueur de loups. Mais lorsque mille générations vinrent à passer, cette idée était déjà loin dans les mémoires. Plus personne n'appelait son fils Olufsensen, Olufsentrois, ou Olufsenbisrepetitaminorjunior. Et moi de poser la question "Qu'arrive-t-il quand celui qui vous donne votre nom, celui qui vous donne votre existence, celui qui vous donne votre identité, celui qui est votre Dieu, disparait ?" Olufsen ne peut remplacer Oluf puisqu'il n'est pas Oluf. Il ne remplira pas la couche d'Hermina, la dresseuse des blanches hermines. Il ne tuera pas les loups que son père a pourchassé. Olufsen est à son père ce qu'une peinture est à Michel-Ange. Une façon de traverser les âges, de revenir d'entre les morts, devenir immortel. Un pâle souvenir.